La fille qui devait apprendre à vivre pour vivre

Conte : la fille qui devait apprendre à vivre pour vivre

Assise auprès de la cheminée, une boisson chaude dans les mains, un précieux ami assis à sa droite, la jeune femme fixe son regard sur les flammes, elles absorbent ses pensées et lui donnent le courage de dire ces mots qui brûlent sa gorge et qu’elle n’ose prononcer. 

La fille qui ne comprenait plus pourquoi elle devait vivre

« Je n’en peux plus de cette vie. A quoi tout cela rime ? J’ai tout perdu, je suis seule, je ne suis bonne à rien. Dès que j’essaye d’entrouvrir une porte pour tenter quelque chose de nouveau, elle se referme violemment sur mon nez. Quand l’espoir renaît, c’est pour mieux me faire retomber ensuite dans l’échec, le désespoir et le sentiment d’impuissance.

J’en ai marre. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir durer comme cela. Et ne me dis pas, « un jour après l’autre », ou « tout passe », « que le soleil se lève tous les matins » aujourd’hui n’est pas une de ces journées où je suis en capacité d’entendre ces poncifs qui sont censés m’aider à relativiser et croire à un lendemain meilleur.

Aujourd’hui, je suis en colère, j’ai juste envie d’hurler et de dire que j’en ai marre.

Je ne veux pas que tu me rappelles que je suis forte, même si je n’en ai pas conscience. Je ne veux pas être forte, j’ai envie de baisser les bras. Aujourd’hui, je ne veux pas faire ce qu’il faut pour aller bien, je n’ai pas la force de sourire, je n’ai pas la force ni le courage d’y croire. Les chevaux étaient la dernière chose qui me restait pour me sentir utile et active. Et avec cette blessure à la main, je ne peux plus m’occuper d’eux. Je suis obligée de rester au repos complet si je veux cicatriser. Et je n’en peux plus d’être enfermée chez moi à regarder la mer et l’horizon toute la journée en quête de nouveautés et de découvertes qui n’arrivent pas. Ce n’est pas une vie. C’est le purgatoire. Demeurer là, sans fonction, sans rôle, sans but. A quoi bon ?

Aujourd’hui tout est gris et je me sens inutile. Tout ce que je vis depuis un an n’a pas de sens. « 

« Comme je te comprends ma jeune amie. Cette période est vraiment merdique. Tout ce qui t’es arrivé…en si peu de temps… tu m’étonnes que tu en aies marre. Tu as le droit d’être en colère, de vouloir baisser les bras, de ne pas y croire. Et franchement, je suis surpris que tu ne le sois pas plus souvent, je suis surpris que tu puisses sourire et rire comme tu le fais »

Les larmes coulent sur ses joues et elle tente discrètement de les essuyer, cacher ces émotions qui débordent malgré elle.

« Oui mais… dis-moi : à quoi tout cela rime ?  Pourquoi je me retrouve là, seule, sans ne rien pouvoir faire ? A part toi, je n’ai plus personne autour de moi ; professionnellement, je ne vois rien qui ait du sens ; et sentimentalement, je n’en parle pas… Tout semble bloqué. On dirait que je suis coincée, que je ne peux aller nulle part. Et cela me rend dingue. J’aimerai pouvoir m’activer pour arrêter de penser, pour avoir le sentiment d’être utile, pour avoir le sentiment d’avancer, de construire, réaliser quelque chose. »

 

Il la regarde, prend quelques instants de silence pour peser ses mots qu’il sait délicats puis avec toute la tendresse dont il dispose, lui dit :

«Tu reçois un apprentissage pour lequel personne ne t’a préparé : il t’est demandé d’apprendre à vivre pour vivre. Et ce n’est pas chose facile. »

La jeune femme le regarde et ne dis rien. Elle ne comprends pas le sens de cette phrase. Elle lui paraît complétement stupide voire surfaite et pourtant ces paroles semblent profondes. Il y a quelque chose qui doit lui échapper.

Dans sa tête, cela s’active.

Vivre pour vivre, mais quelle connerie ! C’est quoi encore cette idée à deux balles ? Il est allé la chercher dans psychologie magazine ou quoi ? Croit-il franchement que c’est la réponse que je voulais entendre ? Et puis, qu’est-ce que cela veut dire ? J’en fais quoi de ça, moi, maintenant ?

Il y a 3 ans, j’avais une vie bien huilée, dans les clous, un travail qui payait bien, une voie professionnelle royale toute tracée, une relation de couple (que je pensais être vraie et belle), des amis (que je pensais être vrais et beaux), une vie normale quoi !. Je ne me posais pas toutes ces questions auxquelles je n’ai absolument pas de réponse. Je n’avais pas conscience du vide de mon existence, ni même de tout ce qui se cachait à mon regard et qui faisait de moi une machine à consommer, à produire. Et maintenant, quoi ? Le désert social et familial, l’échec professionnel et amoureux, la vie en marge de la norme et des autres… tu parles d’une vie à vivre, juste pour la vivre en plus…

Si je n’avais pas tant de respect et d’estime pour toi, mon ami, je ne serai pas loin de te traiter de « con » sur ce coup-là.

 

Il la connaît bien, il reconnait le désarroi qu’elle tente de masquer. Ce long silence qui ne lui ressemble pas, ces yeux qui le supplient de lui en dire plus et cette fierté qui l’empêche de le lui demander ouvertement. Il aimerait lui expliquer ce que signifie  « apprendre à vivre pour vivre » mais il sait qu’il y a des leçons qui ne peuvent s’apprendre ni s’appréhender avec la tête.

C’est un chemin qu’elle doit emprunter seule. Elle a des prises de conscience à avoir. Elle doit éprouver sa détermination, les limites de son tiraillement intérieur. Pour choisir ou non de lâcher prise et peut-être découvrir par elle-même les réponses qui seront les siennes.  

Il aimerait pouvoir lui épargner le coût de la recherche, du tâtonnement, des moments difficiles qui s’annoncent pour cette amie qu’il aime tant. En bon protecteur, il voudrait la prendre par la main et lui offrir les réponses qu’il a lui-même trouvé.

Il n’en fait rien. Il la regarde avec empathie et en silence, dans sa tête et avec son cœur, il lui souffle « continue mon amie, débats toi, questionne, hurle, désespère, rit. Les passages initiatiques sont faits comme cela. Se transformer en profondeur demande une certaine abnégation, un abandon. C’est la mort d’une partie de soi qui se prépare à renaître à autre chose. Mais avant de renaître, il faut d’abord accepter de laisser partir. »